Vous ne comprenez pas, me dites-vous. Que fais-je ici ? Qui suis-je, pour être restée avec lui jusqu'à son dernier soupir ? Moi, qui ne fais pas partie de sa famille ?
Vous, sa famille, n'avez pas pu l'accompagner. Sa fin vous était trop difficile, sa maladie trop horrible. Moi, l'inconnue, comment ai-je pu...?
J'ai été son amante, voyez-vous. Pas longtemps, me répondez-vous. Vous l'auriez su. Non. Pas longtemps. Quelques moments fugaces à peine suffisant pour être une muse, trop vite oubliée.
Mais... nous avons été amants. Son corps, pendant quelques brefs moments, m'a appartenu, et il a joui du mien.
Oui, c'était il y a longtemps. Un lien ténu du passé. Mais je n'ai pas oublié la vigueur de ses étreintes, je n'ai pas oublié la fermeté de sa voix, je n'ai même pas oublié son odeur -il fumait le cigare. Sa peau douce. Son crâne rasé.
Vous ne le voyez plus comme ça. Vous ne voyez que ses dernières années, son corps et son esprit ravagés. Vous ne pouvez plus voir l'homme qu'il a été.
Moi, j'ai pu revenir à ses côtés et retrouver cet homme que vous avez oublié. Vous l'avez abandonné. Vous n'avez pas supporté de rester. Je suis arrivée juste à temps pour l'accompagner. J'ai été là à ses derniers moments, quand la morphine l'a libéré de ses tourments. Quand il a été lucide, et se trouvant seul, désemparé, je me suis glissée à ses côtés, prenant sa tête sur mon sein qu'il avait jadis tant admiré et nous avons parlé, brièvement, de vous qu'il a tant aimé. De nous, qu'il avait oublié.
J'ai retrouvé brièvement dans son regard la force et la vigueur de jadis. Oubliés, son corps fatigué, sa peau ridée, sa voix brisée. L'enveloppe fripée n'a pas d'importance. Seuls comptent ces derniers moments où je lui ai fait revivre le passé. Je lui ai murmuré des mots crus à l'oreille. J'aurais aimé une dernière étreinte, lui ai-je dit, être l'esclave de ses désirs, me mettre à genoux devant lui et lui offrir de nouveau ma poitrine rebondie. Il m'aurait prise alors, et se retirant au dernier moment, il aurait laissé son foutre recouvrir mes reins.
Ah, ce petit sourire en coin, cette lueur dans son regard... Puis il s'est endormi. Il était détendu. Son corps presque ravivé. Le dernier sommeil est venu. Je l'ai veillé, comptant son souffle... et puis la mort est passée, à pas feutrés, et l'a emmené.
Vous ne comprenez pas, vous parlez de courage. Comment ai-je pu étreindre ce corps malgré ses ravages ? Comment pouvez-vous comprendre que j'ai vu l'homme que j'ai connu, et que nous nous sommes retrouvés, bref amants du passé, oubliant le présent?
Laissez-moi seule maintenant, donnez-moi une dernière minute avec lui. Laissez-moi faire mon deuil et prendre congé de lui.
Pour D. à qui je n'ai pas parlé depuis des années mais qui, aux dernières nouvelles, était en parfaite santé.